À la veille de son anniversaire, le vétéran de la rumba sort V70 : un nouvel album qui marque son entrée dans le club des artistes septuagénaires, après 54 ans de carrière. L’occasion pour nous de revenir avec lui sur son parcours.
V70, le tout nouvel album de Bumba Massa, a les qualités du chanteur : douceur et élégance, et la brillance de la rumba congolaise classique, celle de la génération des pionniers qu’il a accompagnés. On y retrouve d’ailleurs plusieurs morceaux historiques qui jalonnent sa très longue carrière, et un hommage à Vicky Longomba, son idole de jeunesse.
Car c’est tout jeune que Samuel Bumba Massa s’est interessé à la musique. D’abord en voyant son père, commerçant, s’adonner à la guitare (et même, le soir de son second mariage, animer avec l’orchestre toute la soirée !). Et puis la voix de Vicky Longomba, chanteur vedette de l’Ok Jazz, lui donne envie de l’imiter.
Ecole buissonnière, premiers concerts
Adolescent, il se prend d’amitié pour Bavon Marie-Marie, le jeune frère de Franco. Leurs familles viennent toutes deux de Sona Bata, et ils passent leurs vacances au village à animer des petits bals poussière ou des veillées au coin du feu.
Tous deux ne sont encore qu’écoliers, mais Bavon Marie-Marie, déjà talentueux à la guitare, l’invite au retour des vacances à assister à une répétition de son premier groupe. Bumba Massa, la mort dans l’âme, rejoint les bancs de son école dans la région du Bas-Congo, mais revient à Kinshasa pour les petites vacances. Son camarade, qui a monté un nouveau groupe, l’invite à nouveau. Cette fois-ci, le jeune Samuel décide de ne pas retourner en province, et déserte l’école. Idem pour tous les jeunes gens qui forment le groupe. Tshibangu, mécène et propriétaire d’un bar-dancing du même nom, les équipe et les invite à jouer dans son club.
« Quand on a commencé à parler de la rumba congolaise, c’est parce que la musique devenait moderne et n’était plus uniquement congolaise, et c’est à partir de ce moment là qu’elle s’est mise à traverser les frontières. »
Nous sommes en 1963. Franco Luambo, déjà vedette, refusait que son cadet n’abandonne ses études pour la musique. Self made man devenu chef de famille, il avait désormais les moyens d’offrir un avenir meilleur à Bavon Marie-Marie. Aussi, lorsqu’il apprend que celui-ci joue au Tshibangu, il débarque chez le propriétaire et, lui reprochant de faire jouer des élèves, menace d’envoyer les forces de l’ordre les embarquer. « On a joué, raconte toujours Bumba Massa, mais Bavon Marie-Marie était caché derrière l’ampli ». Ils ne furent pas inquiétés ce soir-là, mais dès le lendemain firent leurs bagages pour le Bas-Congo en quête d’un nouveau club où élire domicile. L’orchestre s’appelle alors Cubana Jazz, en référence à l’île dont les musiques (tcha-tcha, son montuno, bolero) font un malheur au Congo, participant à la naissance de la rumba congolaise. « Depuis les années 40, raconte Bumba Massa, nos aînés avaient ces influences là, ils travaillaient là-dessus. Quand on a commencé à parler de la rumba congolaise, c’est parce que la musique devenait moderne et n’était plus uniquement congolaise, et c’est à partir de ce moment là qu’elle s’est mise à traverser les frontières ».
Peu après, Franco récupère son petit frère et met fin à l’aventure du Cubana Jazz. Il accepte cependant que son petit fère prenne le chemin de la musique, sous sa surveillance, et l’autorise à fonder l’orchestre Négro-Succès.
Quant à Samuel, rebaptisé Sammy pour la scène, il rentre à Lépoldville et trouve une place dans le Jamel Jazz, avant de poursuivre ses classes chez Jean Bokelo et son Conga Succès, puis de fonder son propre orchestre, Carroussel. Il apprend beaucoup, perfectionne sa voix en continuant de s’inspirer de son idole, Vicky Longomba.
La mort de son ami Bavon Marie-Marie, le 5 aout 1970, le frappe de plein fouet. Franco compose alors une chanson de deuil splendide, Kinsiona (le chagrin).
« Je suis de ceux qui croient encore que la rumba a toujours sa place. La rumba c’est une culture, c’est des messages, c’est l’éducation. »
Le dauphin de Vicky Longomba
Quelques mois plus tard, Sammy entre alors dans l’orchestre du défunt, le Negro Succès, qui ne se remettra pas de la mort de son guitariste soliste. Mais Vicky Longomba, qui vient de quitter l’OK Jazz de Franco, lui propose de faire partie de l’orchestre Lovy du Zaïre qu’il vient de fonder.
« Conseil d’Ami » est d’ailleurs une des chansons du groupe, librement inspirée de Man’s Man’s World de James Brown.
Bumba Massa se souvient :
« Quand j’étais avec Vicky Longomba, il m’appréciait comme jeune chanteur. Un jour, en plein concert, il était avec ses amis, il m’appelle et leur dit : « si un jour je ne suis plus là, c’est à travers ce garçon que vous allez penser à moi. (…) D’ailleurs, bientôt les journalistes allaient parler de moi comme le dauphin de Vicky. »
On comprend alors pourquoi, sur V70, Bumba Massa reprend en medley trois chansons qu’interprèta autrefois son idole. « Cet hommage là, il le mérite. L’occasion pour moi de le faire, c’était dans V70. »
Quatre ans plus tard, Bumba Massa rejoint l’OK Jazz de Franco, alors au sommet de sa gloire. En cette année 1976, l’orchestre fête d’ailleurs son vingtième anniversaire. Il se frotte là encore à une autre école, deux années durant, avant de reprendre sa liberté et d’entamer une carrière Solo. Comme s’il avait mué, il laisse derrrière lui la peau et le nom de Sammy, et devient « Bumba Massa ». Et fait ses bagaes pour l’Afrique de l’Ouest, et notamment pour Abidjan, où les chanteurs congolais sont en vogue (Sam Mangwana ou Bibi Den’s Tshibayi sont aussi passés par là).
Bumba Massa, V35
Produit par Lassissi, Nigérian installé à Abidjan, il enregistre à Lomé son premier album « Gare à toi », paru en 1981, dont la chanson titre est également reprise dans V70.
Puis vient L’argent et la femme, second album qui lui vaut d’être repéré par le producteur Ibrahima Sylla, qui vient de fonder le label Syllart à Paris. C’est là qu’il l’emmène enregistrer son album suivant, Dovi.
Bientôt Bumba Massa s’installe à Paris, et participe à l’engouement des nuits parisiennes pour ce son congolais off shore qu’est le soukouss…
À la fin des années 90, c’est encore Ibrahima Sylla qui vient le chercher pour lui proposer de remonter un groupe avec d’autres vétérans de la rumba (Loko Massengo, Nyboma, Syran Mbenza…). L’objectif : renouer avec la rumba classique, celle des pionniers, proches des influences afro-cubaines qui l’ont vu naître. Ce sera le groupe Kekele, qui enchaîne trois albums et de nombreuses tournées.
Pour Bumba Massa, c’est un retour aux sources. Et la rumba comme l’afro-cubain ne le quitteront plus. Son album solo Apostolo (2010), enregistré avec des musiciens Cubains, en témoigne. Et c’est bien cette couleur, ce son raffiné, qui font la marque de V70.
« Je suis de ceux qui croient encore que la rumba a toujours sa place. La rumba c’est une culture, c’est des messages, c’est l’éducation. Donc la rumba c’est quelque chose de grandiose que nous devons respecter, parce que depuis ce temps-là jusqu’à aujourd’hui, c’est par la musique qu’on reconnaît le Congo ! »
En français comme en lingala, la rumba de Bumba Massa a toute la hauteur et la classe de son âge vénérable. C’est le sens de V70 : V comme valeur, 70 comme la septième décennie dans laquelle il est entré. Ca tombe bien, pour celui dont la voix, aime-t-il rappeler, « est comme le bon vin : elle devient meilleur avec le temps ». Alors à la santé de Bumba Massa, qui fêtera le 02 décembre son V72ème anniversaire.
Écoutez/télécharger l’album V70 de Bumba Massa ici.